La réponse du monde au coronavirus. Quelle mystification !

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Les vaccins doivent ĂȘtre « hors brevet » et gratuits. Il y avait une fois
 mais il n’y est plus

« Si les tendances actuelles se poursuivent, quelques 5 milliards de personnes n’auront toujours pas accĂšs Ă  la santĂ© en 2030, date Ă  laquelle (selon l’Agenda 2030 des Nations Unies) les dirigeants mondiaux ont fixĂ© la date cible pour la couverture sanitaire mondiale. La grande majoritĂ© des personnes qui n’y ont pas accĂšs sont pauvres » (OMS, Rapport sur le suivi de l’état de la couverture sanitaire universelle, septembre 2019). L’alerte est sĂ©rieuse car pour atteindre l’objectif, il faudra doubler la couverture actuelle en dix ans seulement !

Les pays doivent investir au moins 1% supplémentaire de leur PIB dans les soins de santé primaires pour éliminer les lacunes flagrantes de la couverture

Pendant quelques dĂ©cennies aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, dans certains pays « riches » du monde (pays scandinaves, Allemagne, Hollande, France et, dans une moindre mesure, Italie, rien aux États-Unis), de grands progrĂšs ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s grĂące Ă  des politiques axĂ©es sur la protection et la sĂ©curitĂ© sociales. En outre, au dĂ©but des annĂ©es 70, on a constatĂ© un dĂ©but de rĂ©duction du taux de croissance des grandes inĂ©galitĂ©s de revenu entre les pays « riches » et les pays pauvres.

Tout a changĂ© dans les annĂ©es 1970 suite Ă  l’effondrement du systĂšme financier international mis en place en 45-48 par les puissances occidentales. Les groupes sociaux du Nord, principaux dĂ©tenteurs du capital mondial, ont commencĂ© Ă  dĂ©manteler avec succĂšs l’État providence accusĂ© d’avoir conduit Ă  la crise du systĂšme parce qu’il avait encouragĂ© dans la distribution des revenus une augmentation de la part attribuĂ©e aux revenus du travail et une diminution relative Ă  celle allant aux revenus du capital. Ils sont parvenus en moins de vingt ans Ă  imposer les grandes vagues de marchandisation de toutes les formes de vie (y compris les brevets sur le vivant et l’intelligence artificielle) et de privatisation et de financiarisation de l’ensemble de l’économie, y compris des biens et services publics.

La Russie, l’Inde, la Chine, Ă  des degrĂ©s et avec des modalitĂ©s diffĂ©rentes se sont intĂ©grĂ©es dans la nouvelle Ă©conomie mondiale dominĂ©e par un nĂ©ocapitalisme financier Ă  intensitĂ© technoscientifique Ă©levĂ©e et, surtout, technocratique. Les consĂ©quences pour la vie sur Terre ont Ă©tĂ© dĂ©sastreuses : dĂ©vastation environnementale et climatique, bouleversements Ă©conomiques, dĂ©sastre social, guerres, militarisation de l’économie et de la politique. C’est dans ce contexte plus que jamais convulsif et violent que la crise sanitaire mondiale due au coronavirus s’est manifestĂ©e. Jusqu’à prĂ©sent, cette situation a surtout touchĂ© les pays les plus « riches » du monde. Et c’est probablement pour cette raison que, contrairement aux pandĂ©mies prĂ©cĂ©dentes, elle est devenue de loin la grande question de notre temps, contre laquelle les puissants du monde ont pris des mesures jamais vues auparavant, telles que le confinement de millions et millions de personnes avec pour consĂ©quence l’arrĂȘt gĂ©nĂ©ral des activitĂ©s Ă©conomiques, Ă  l’exception de celles de premiĂšre nĂ©cessitĂ©.

La réponse mondiale au coronavirus

Si l’on s’en tient aux documents et aux dĂ©clarations officielles, il est vrai que l’on a le sentiment que cette fois les grands sujets qui dĂ©tiennent le pouvoir donnent l’impression de vouloir mettre le paquet ! Ce n’est pas cependant le cas de Trump, Bolsonaro, Erdogan, Orban, et de Poutine. Le 16 mars, le G20 (qui rĂ©unit les chefs d’État et de gouvernement des 20 Ă©conomies les plus puissantes du monde) a annoncĂ© le lancement d’une importante initiative conjointe pour lutter contre le coronavirus. Cette initiative est prĂ©sentĂ©e et dĂ©crite le 24 avril dans un appel mondial de l’Organisation Mondiale de la SantĂ© (OMS) rĂ©digĂ© avec l’assentiment de la majoritĂ© des États du G20. L’initiative, dit-on, doit viser Ă  accĂ©lĂ©rer le dĂ©veloppement de nouvelles technologies mĂ©dicales (tests de diagnostic, traitements et vaccins) essentielles contre le Covid-19 et ainsi assurer l’accĂšs au traitement de la pandĂ©mie pour tous, dans le monde entier.

La touche finale est donnĂ©e le 28 avril. La Commission europĂ©enne et les gouvernements de France, d’Allemagne, d’Espagne, d’Italie, du Royaume-Uni et de NorvĂšge, ainsi que ceux de l’Arabie saoudite et du Canada, publient « The Global Coronavirus Response » (en bref, la rĂ©ponse) dans le but de collecter 7,5 milliards d’euros avant le 4 mai, en tant que fonds initial pour financer un programme mondial de coopĂ©ration en matiĂšre de recherche pour lutter contre le coronavirus appelĂ© Access to Covid-19 Tools Accelerator (ACT). L’objectif financier a Ă©tĂ© rapidement atteint avant mĂȘme le 4 mai. « La rĂ©ponse » a Ă©tĂ© lancĂ©e.

L’emphase a Ă©tĂ© particuliĂšrement forte. Selon le communiquĂ© de presse, la prĂ©sidente de la Commission europĂ©enne a affirmé : « C’est un dĂ©fi exceptionnel et mondial. Si nous pouvons dĂ©velopper un vaccin produit par le monde entier, nous aurons obtenu un avantage mondial unique au 21e siĂšcle« .

En quoi consiste réellement la réponse /ACT ?

« Il s’agit d’une plateforme de collaboration internationale visant Ă  accĂ©lĂ©rer et Ă  intensifier la recherche, le dĂ©veloppement, la disponibilitĂ© et la distribution Ă©quitable d’un vaccin et d’autres traitements thĂ©rapeutiques et diagnostiques essentiels. Elle constitue la base d’une vĂ©ritable alliance internationale pour lutter contre le coronavirus« .

C’est pourquoi, en plus des gouvernements, font partie de la plateforme trois catĂ©gories d’acteurs du monde de : a) la recherche et le dĂ©veloppement, b) la production/fabrication et c) la distribution. Les sujets sont publics, public/privĂ© et prives. La liste des principaux partenaires est impressionnante.

Mentionnons en particulier – au-delĂ  de l’UE, des gouvernements et de l’OMS – la GAVI Global Alliance for Vaccines and Immunization), la CEPI (Coalition for Epidemic Preparadness Innovation), UNITAID (Innovation in Global Health Solution to Adress Global Pandemia), la Banque mondiale et son bras droit le Fonds mondial (sujets clĂ© de l’ingĂ©nierie financiĂšre) ; des fondations philanthropiques privĂ©es telles que la Fondation Gates, le Wellcome Trust et, par l’intermĂ©diaire du puissant Forum Ă©conomique mondial (WEF), la prĂ©sence institutionnalisĂ©e des entreprises et la finance au sein de l’initiative.

Pourquoi parler de mystification ?

Pourquoi, face Ă  cette vaste et unique alliance mondiale entre tous les acteurs clĂ©s de la santĂ©, officiellement inspirĂ©e par de bonnes intentions dans l’intĂ©rĂȘt de tous, peut-on dire que « la rĂ©ponse« /ACT est une grande mystification ?

Ce que je vais essayer de dĂ©montrer c’est tout d’abord, qu’il ne s’agit pas d’une rĂ©ponse globale. Les classes dirigeantes politiques et Ă©conomiques (et techno-scientifiques) n’ont pas Ă©tĂ© capables de penser et d’agir globalement. En outre, et surtout, l’ACT a Ă©tĂ© conçu et sera mis en Ɠuvre selon un modĂšle largement appliquĂ© et diffusĂ© au cours des 30 derniĂšres annĂ©es, appelĂ© partenariat public-privĂ©, qui ne vise pas (ne peut pas viser) Ă  concrĂ©tiser un droit universel – le droit Ă  la santĂ©, impliquant l’obligation pour les pouvoirs publics de le garantir, dans ce cas par le biais d’un vaccin mondial, commun, public, gratuit. Il vise trĂšs clairement Ă  promouvoir un accĂšs Ă©quitable et Ă  prix abordable Ă  un produit et un service mĂ©dical privĂ© considĂ©rĂ© comme un bien industriel et commercial sur le marchĂ©.

En ce sens, l’ACT est une rĂ©pĂ©tition sur des bases (presque) mondiales et solides d’un modĂšle d’intervention politique, sociale, Ă©conomique et techno-scientifique dans le domaine de la santĂ©, en particulier des vaccins, qui a dĂ©montrĂ© d’importantes faiblesses et dĂ©ficiences structurelles et a provoquĂ© de profonds dysfonctionnements et consĂ©quences dans le domaine de la politique de la santĂ©, du rĂŽle de l’État et des pouvoirs publics, des droits, de l’économie de la santĂ©, de la fonction de la science et de la technologie et des universitĂ©s

Elle n’est pas mondiale

La pandĂ©mie, proclame-t-on, est mondiale. Au-delĂ  de certaines spĂ©cificitĂ©s locales, notamment dans les temps et les rĂ©actions des gouvernements et des populations, les causes, sa virulence et sa propagation sont mondiales. Les consĂ©quences Ă  long terme aussi, mais la rĂ©ponse n’est pas mondiale. Les États-Unis n’y participent pas. Au contraire, leur prĂ©sident a dĂ©cidĂ© de suspendre le paiement annuel des États-Unis Ă  l’OMS, l’accusant de complicitĂ© avec la Chine. Le BrĂ©sil n’est pas lĂ . La Russie est restĂ©e Ă  l’écart. Il en va de mĂȘme pour la Chine.

Ces absences ne sont pas nĂ©gligeables. Ce qui signifie – et c’est Ă©vident dans le cas des Etats-Unis, et dans une moindre mesure dans le cas de la Chine – que la recherche de nouveaux outils pour lutter contre la pandĂ©mie (tests, traitements, vaccins) sera dominĂ©e par une concurrence acharnĂ©e pour les brevets : la course scientifique, technologique, Ă©conomique et politique pour gagner le marchĂ© des anticoronavirus, estimĂ© Ă  plusieurs milliards d’euros de profits, dominera le thĂ©Ăątre mondial des opĂ©rations dans les prochains mois (sauf, improbable ?, retournement de situation).

Voir la dĂ©claration de ces jours de Sanofi, l’entreprise champion national de la France dans ce domaine. Dans ces conditions, il est difficile de parler de solidaritĂ© entre les peuples.

Un aspect positif, peut-ĂȘtre, est que la rĂ©ponse reprĂ©sente l’un des rares actes d’ »indĂ©pendance » de l’UE par rapport aux États-Unis dans le domaine de la politique mondiale. Face aux choix irrationnels et irresponsables du prĂ©sident Trump, l’UE montre qu’elle veut travailler dans une perspective mondiale contraire au souverainisme impĂ©rial des États-Unis et Ă  la primatie blanche du prĂ©sident amĂ©ricain. Dans la lettre de prĂ©sentation de l’ACT, la prĂ©sidente de la Commission europĂ©enne n’hĂ©site pas Ă  dĂ©clarer que l’UE est prĂȘte Ă  assumer le leadership de la rĂ©ponse mondiale.

« Nous nous engageons Ă  travailler avec tous ceux qui partagent notre attachement Ă  la collaboration internationale (
) Nous sommes prĂȘts Ă  diriger et Ă  soutenir la rĂ©ponse internationale « .

Elle ne vise pas la santé de tous, mais un accÚs équitable et abordable

Dans aucun document de l’OMS ou de l’ACT, ni dans aucune dĂ©claration des multiples partenaires officiels, il n’est fait rĂ©fĂ©rence au brevet. Il ne s’agit ni d’un oubli ni d’une dissimulation volontaire. Bien sĂ»r, on peut comprendre que pour les grandes puissances, il est inutile de provoquer immĂ©diatement une rĂ©action contraire des forces sociales qui, partout dans le monde, luttent contre le brevet privĂ© et lucratif sur le vivant (et l’intelligence artificielle) et dont les brevets sur les vaccins reprĂ©sentent la partie la plus convoitĂ©e en raison de leur niveau Ă©levĂ© de profits. Mais, en rĂ©alitĂ©, c’est simplement parce qu’il est implicite, selon elles, qu’il s’agira d’un ou de plusieurs brevets Ă  la fois pour les nouveaux mĂ©dicaments, les nouveaux outils de diagnostic et le ou les vaccins contre les coronavirus. Dans ce cas, l’essentiel est de mettre en place les dĂ©marches, les outils et les sujets qui faciliteront l’achat de brevets par les institutions publiques et privĂ©es (voir fondations, programmes du Fonds mondial
 de la Banque mondiale, interventions de l’OMS et de l’UNICEF comme ce fut le cas pour les vaccins pour enfants) et, par consĂ©quent, leur diffusion et leur accessibilitĂ© « pour tous ». Ce sera le rĂŽle spĂ©cifique d’UNITAID au niveau du dĂ©veloppement, de GAVI au niveau de la production et de la fabrication et de CEPI au niveau de la distribution.

Il est utile de rappeler que la Banque mondiale a toujours Ă©tĂ© l’un des dĂ©fenseurs de la lĂ©gitimitĂ© du brevetage du vivant et de l’intelligence artificielle Ă  des fins privĂ©es et lucratives, et je n’ai pas de nouvelles rĂ©centes indiquant que la BM ait changĂ© d’avis Ă  ce sujet. Il me semble qu’il en va de mĂȘme pour la Commission europĂ©enne. La lĂ©gislation europĂ©enne sur les brevets reste conforme aux principes et modalitĂ©s approuvĂ©s par la directive-cadre europĂ©enne de 1998 sur les droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle privĂ©s. GAVI, CEPI, UNITAID sont des organisations privĂ©es « d’utilitĂ© publique » spĂ©cialisĂ©es dans le domaine de la recherche et de la promotion de l’innovation qui comprennent des organismes publics et des entreprises privĂ©es. Elles sont totalement immergĂ©es dans le monde de la propriĂ©tĂ© intellectuelle rĂ©glementĂ©e par l’OMPI (Organisation mondiale de la propriĂ©tĂ© intellectuelle), un organisme indĂ©pendant de l’ONU.

Leurs activitĂ©s et leur rĂŽle, fondamentaux dans le systĂšme actuel, ne sont pas connus du grand public. Elles appartiennent Ă  cette catĂ©gorie d’institutions spĂ©cialisĂ©es sur lesquelles repose la force de nos sociĂ©tĂ©s capitalistes autoproclamĂ©es libĂ©rales et socialement ouvertes mais en rĂ©alitĂ© oligarchiques et technocratiques, qui tirent leur lĂ©gitimitĂ© d’agir « au nom de la science ». Le brevet est le fer de lance de la politique de vie des groupes sociaux dominants.

La mystification vient de ce systĂšme

Il fait croire que le remĂšde contre la pandĂ©mie de covid-19 sera le rĂ©sultat d’une coopĂ©ration internationale Ă©troite entre les pouvoirs publics et privĂ©s, entre les pays « riches » et « pauvres » dans l’intĂ©rĂȘt de la santĂ© de tous les ĂȘtres humains. Ce qui est vrai, c’est que le systĂšme public de recherche et d’expertise ainsi que le systĂšme public de ressources financiĂšres sont mis au service de la production, de l’achat et de la commercialisation de brevets privĂ©s dont la licence d’utilisation sera vendue aux autoritĂ©s publiques. Certains partenaires souhaiteraient que le vaccin soit mis Ă  disposition par le biais d’un transfert volontaire de la licence d’utilisation par les entreprises privĂ©es dĂ©tentrices du brevet. Si ce dernier mĂ©canisme devait ĂȘtre adoptĂ©, il est important de savoir dĂšs Ă  prĂ©sent dans quelles conditions et grĂące Ă  quelles subventions, facilitĂ©s et allĂ©gements fiscaux, contributions, etc. les entreprises propriĂ©taires du brevet seront prĂȘtes Ă  renoncer « volontairement » Ă  la licence. L’expĂ©rience passĂ©e montre que le transfert de la licence a rarement Ă©tĂ© le rĂ©sultat d’une philanthropie sans compensation.

Et c’est lĂ  que nous entrons au cƓur de la mystification. Tant dans l’appel de l’OMS que dans le document, la rĂ©ponse indique que l’objectif de l’initiative est de garantir l’accĂšs de tous aux remĂšdes contre la pandĂ©mie et que personne ne sera laissĂ© pour compte mais, il est prĂ©cisĂ© qu’il s’agit d’un accĂšs Ă©quitable et abordable. L’OMS Ă©crit dans le document susmentionnĂ© : « Notre mission est non seulement d’accĂ©lĂ©rer le dĂ©veloppement et la fourniture de nouveaux outils contre COVID-19, mais aussi d’accĂ©lĂ©rer l’accĂšs Ă©quitable dans le monde entier Ă  un diagnostic, un traitement et des vaccins sĂ»rs, de qualitĂ©, efficaces et abordables contre COVID-19. Et ainsi s’assurer que personne n’est laissĂ© pour compte dans la lutte contre Covid-19« .

Pour sa part, la présidente de la Commission européenne déclare : « Nous devons développer un vaccin, le produire et le distribuer partout dans le monde. Et nous devons faire en sorte que son prix soit abordable « . No doubt. Le vaccin est considéré un produit industriel, une marchandise.

Un accĂšs Ă©quitable et Ă  prix abordable sont les deux principales caractĂ©ristiques de l’objectif de la rĂ©ponse mondiale aux coronavirus. Il n’est pas question une seule fois de garantir le droit universel Ă  la santĂ©. Les deux concepts sont les Ă©lĂ©ments fondamentaux qui reviennent systĂ©matiquement depuis les annĂ©es 1990 dans la vision et la stratĂ©gie politique des groupes sociaux dominants.

Par accĂšs Ă©quitable dans le domaine de la santĂ©, l’OMS fait rĂ©fĂ©rence Ă  « l’absence de diffĂ©rences systĂ©miques et potentiellement curables dans un ou plusieurs aspects de la population dĂ©finis socialement, Ă©conomiquement, dĂ©mographiquement ou gĂ©ographiquement« . L’objectif d’équitĂ© ne signifie pas l’aplatissement des diffĂ©rences de santĂ© entre les individus, et toutes les inĂ©galitĂ©s que l’on peut trouver ne sont pas nĂ©cessairement perçues comme injustes ! D’oĂč la diffĂ©rence entre Ă©quitĂ© et justice. Cela explique aussi pourquoi les puissances dominantes ont systĂ©matiquement ajoutĂ© la notion de « prix abordable ». Les inĂ©galitĂ©s de revenus et de pouvoir d’achat ne sont pas remises en cause face au droit Ă  la santĂ©, mais elles exigent que le prix ne soit excluant, alors que (c’est ce qui et se produit rĂ©guliĂšrement. Comme on le sait, des millions et des millions de personnes cessent de se soigner, se soignent mal ou ne se sont jamais soignĂ©es en raison du prix des mĂ©dicaments et des services mĂ©dicaux.

Un accĂšs abordable signifie que personne ne peut avoir accĂšs aux traitements et vaccins contre la pandĂ©mie, Ă  moins de payer un prix dĂ©fini, aprĂšs nĂ©gociation avec les autoritĂ©s publiques, par les entreprises dĂ©tentrices du brevet. Que le prix soit payĂ© par l’utilisateur/client ou, pour lui, par d’autres sujets (autoritĂ©s publiques, organisations sociales et caritatives) n’a pas d’importance. Le prix « abordable » doit ĂȘtre payĂ©. Bien entendu, le prix varie en fonction du niveau de revenu local par habitant. Un vaccin peut coĂ»ter 600 dollars (par exemple) aux États-Unis et en Allemagne ou 60 dollars en Inde ou au Nigeria. Rappelons-nous le fameux cas du conflit entre la grande entreprise pharmaceutique mondiale Bayer et le gouvernement indien. Bayer avait dĂ©cidĂ© d’imposer un prix d’environ 600 dollars par mois pour l’accĂšs Ă  un nouveau mĂ©dicament efficace contre le cancer du foie et des reins. Le gouvernement indien a refusĂ© et a imposĂ© un prix d’environ 60 dollars. Bayer a criĂ© au vol. Lorsqu’un journaliste de Financial Times lui a demandĂ© pourquoi Bayer s’en tenait Ă  son prix alors que des centaines de millions d’Indiens vivaient avec un revenu infĂ©rieur Ă  2 dollars par jour, le prĂ©sident de Bayer a rĂ©pondu : « Vous savez, en toute honnĂȘtetĂ©, je dois dire que nous n’avons pas conçu et produit ce mĂ©dicament pour les populations d’Asie ou d’Afrique, mais pour les patients des pays dĂ©veloppĂ©s qui peuvent payer le prix que nous avons fixé ». Le prĂ©sident de Bayer fut immĂ©diatement licenciĂ©, non pas parce que ce qu’il avait dit Ă©tait incorrect, mais parce qu’il n’aurait jamais dĂ» le dire.

Le fait d’avoir remplacĂ© le concept de droit Ă  la santĂ© et, par consĂ©quent, l’obligation publique de le garantir Ă  tous de maniĂšre universelle, par le concept d’accĂšs Ă©quitable et abordable a Ă©tĂ© l’une des plus grandes mesures rĂ©gressives sur le plan social, Ă©conomique et politique prises par les grandes oligarchies au pouvoir depuis 40 ans ou plus. Ce faisant, elles ont balayĂ© la culture constitutionnaliste des droits et de l’État de droit pour imposer une culture de la politique de santĂ©, et de la vie, rĂ©duite Ă  une question de gestion administrative/organisationnelle des diffĂ©rences/inĂ©galitĂ©s sociales et de gestion Ă©conomique rĂ©gulĂ©e par le prix du marchĂ© (mĂȘme si largement subventionnĂ© par la sphĂšre publique).

La santĂ© a quittĂ© le domaine des droits, de la communautĂ© sociale, de la justice et de la dĂ©mocratie pour devenir prisonniĂšre des chaĂźnes de valeur de la production et de la distribution des mĂ©dicaments, des mĂ©canismes alĂ©atoires du marchĂ©, des impĂ©ratifs financiers (ROI, entre autres), des structures de dĂ©cision et de contrĂŽle oligarchiques et technocratiques (pensons Ă  la façon dont la rĂ©gulation de la vie est en train de changer Ă  l’ùre de l’intelligence artificielle et du coronavirus).

Le bouleversement de perspective est de portée historique et mondiale

Le bouleversement est gĂ©nĂ©ral, consensuel, comme le dĂ©montre mĂȘme la rĂ©solution adoptĂ©e le 21 avril par l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies avec laquelle 193 États tentent d’aller un peu au-delĂ  de l’équitĂ© mais restent dans le cadre de la culture politique dominante en demandant a) que « les moyens disponibles garantissent un accĂšs et une rĂ©partition Ă©quitables, des outils de prĂ©vention transparents, Ă©quitables et efficaces, des tests de laboratoire, des mĂ©dicaments et des futurs vaccins Covid-19 » et b) « renforcer la coopĂ©ration scientifique internationale et intensifier la coordination, y compris avec le secteur privé« .

Le renversement de la situation est essentiel, mais il sera particuliĂšrement difficile

Les agences des Nations unies elles-mĂȘmes, y compris l’OMS, ont montrĂ© pendant toutes ces annĂ©es que la stratĂ©gie d’accĂšs Ă©quitable et abordable a contribuĂ© Ă  certains progrĂšs mais n’a pas pu garantir le droit universel Ă  la santĂ© et les autres droits Ă  la vie car elle n’éradique pas, ni mĂȘme ne dĂ©stabilise, les causes structurelles des inĂ©galitĂ©s entre les ĂȘtres humains et de l’injustice. L’état de la couverture sanitaire mondiale – telle que celle de l’eau potable – est un indicateur clair de l’incapacitĂ© de la stratĂ©gie d’accĂšs Ă  la rĂ©soudre. Ce n’est pas pour rien que j’ai commencĂ© ce document en citant l’alerte de l’OMS sur les 5 milliards de personnes qui pourraient ne pas avoir de couverture santĂ© en 2030.

Conclusion

La solution ne se trouve pas dans la rĂ©ponse mondiale actuelle au coronavirus. C’est une mystification. Ses promoteurs savent trĂšs bien qu’en 40 ans, depuis 1980, date Ă  laquelle, pour la premiĂšre fois dans l’histoire de l’humanitĂ©, la Cour suprĂȘme des États-Unis a rompu le consensus existant et autorisĂ© le brevetage du vivant Ă  des fins privĂ©es et lucratives, plus de 50 000 brevets sur le vivant (y compris les OGM) ont Ă©tĂ© dĂ©livrĂ©s. Le contrĂŽle de ces brevets est entre les mains de sociĂ©tĂ©s privĂ©es, en particulier de multinationales, de sociĂ©tĂ©s mondiales comme Bayer et des centaines de ses « sƓurs ». Les promoteurs savent que la politique de la vie a Ă©chappĂ© au pouvoir des États dits souverains par leur propre consentement. Les propriĂ©taires privĂ©s de la vie marchandisĂ©e, monĂ©tisĂ©e et bancarisĂ©e sont les principaux « seigneurs de la vie », une rĂ©alitĂ© mĂ©tabolisĂ©e et consacrĂ©e par la stratĂ©gie de l’accĂšs Ă©quitable et abordable.

La seule solution raisonnable et sage est d’éliminer les monopoles et oligopoles industriels, commerciaux et financiers privĂ©s sur le vivant et l’intelligence artificielle. La solution consiste Ă  affirmer que l’accĂšs Ă  la vie – santĂ©, eau
 – est un droit universel intĂ©gral, indivisible, non nĂ©gociable et que le vivant est un bien commun sous la responsabilitĂ© de la communautĂ© mondiale, des pouvoirs publics et, Ă  ce titre, non transfĂ©rable, non dĂ©lĂ©gable.

Les mouvements, dont les plus rĂ©cents sont « Fridays Strikes for the Future », l’Alliance internationale des progressistes, l’Appel des 140 scientifiques du monde catholique, etc, sont-ils disposĂ©s Ă  lutter ensemble pour Ă©liminer les monopoles et les oligopoles industriels, commerciaux et financiers privĂ©s sur le vivant ?

Nous, Ă  l’Agora des Habitants de la Terre, sommes engagĂ©s dans cette voie avec d’autres mouvements et associations de diffĂ©rents pays du monde.

 

Bruxelles, le 13 mai 2020

 

PS. Le 14 mai matin est paru dans la presse l’appel signĂ© par des dizaines de chefs d’État et de gouvernement et ministres, promu Ă  l’initiative du prĂ©sident de l’Afrique du Sud e d’autres personnalitĂ©s politiques africaines avec l’aide de UN-AID : World leaders unite in call for a people’s vaccine against COVID-19. L’appel constitue un pas en avant par rapport Ă  la « RĂ©ponse mondiale au Coronavirus« , critiquĂ©e dans l’article – car il ne parle pas d’accĂšs Ă©quitable et Ă  prix abordable du vaccin e des autres instruments de lutte contre la COVID-19, mais il demande un accĂšs gratuit. En outre, il insiste avec forces sur la nĂ©cessitĂ© de sortir de la logique du brevet et de parvenir Ă  un accord mondial pour une rĂ©gulation publique mondiale commune sur le dĂ©veloppement, la production, la distribution et l’utilisation du/des vaccin/s et traitements.