L’AUTRE AGENDA – La connaissance. Au cœur du pouvoir, de l’inégalité et de l’injustice

Desculpe, este conteúdo só está disponível em francês.

L’objectif

Construire une communauté globale de vie en passant des “je” qui enferment aux “nous” qui libèrent

 

Synthèse et propositions

Document rédigé à partir d’un texte soumis par Riccardo Petrella.

Fontaine de Vaucluse (F), 25 novembre 2021, modifié et mis à jour le 10 janvier 2022 suite aux commentaires et aux propositions des autres membres du groupe de promotion du projet L’Autre Agenda.

 

Table des matières

Introduction

Partie A. Analyse de l’Agenda des dominants

Les dominants

Les principes fondateurs et les croyances

Les objectifs prioritaires et le système de domination

Les principaux instruments du pouvoir

Les narrations des dominants sur la connaissance…

Le monde S&T, Prévisions et attentes des dominants

 

Partie B. L’Agenda des habitants de la Terre

Les habitants de la Terre

L’éthique de base de l’Autre Agenda

Les principes fondateurs, les croyances

Les objectifs prioritaires, coopération et partage

Les propositions. Principales actions pour la transformation

 

Appendice. Une comparaison graphique entre l’Agenda des dominants e l’Autre Agenda

 

INTRODUCTION

Le projet L’Autre Agenda

Tout a commencé en vue d’une mobilisation internationale en faveur d’une politique mondiale publique de la santé à l’occasion du G20 2021 en Italie.

L’objectif n’était pas de demander quelque chose au G20. C’est inutile. Mais de manifester notre grande indignation, dénoncer la criminalité des politiques dominantes et diffuser nos propositions centrées sur l’abolition des brevets sur le vivant (et l’intelligence artificielle) et pour une autre politique de la connaissance, bien commun public des habitants de la terre. Un bien commun mondial devenu propriété privée et instrument puissant de prédation de la vie dans l’intérêt des groupes sociaux dominants.

A l’origine de cette mobilisation ont été les associations Tranform!europe et Agora des habitants de la Terre. De leur alliance et de la participation d’autres groupes comme celui de Venise (Paolo Cacciari) et du mouvement féministe (Nicoletta Pirotta), a germé la rédaction du Mémorandum des citoyens, tentative de positionnement politico-humain de base à l’intention des citoyens eux-mêmes (voir www.agora-humanité.org).

Sur la base du Mémorandum, le projet L’Autre Agenda a pris son envol: des manifestations de rue ont eu lieu à Liège, Bruxelles, Rome, Venise, Matera… le 18 mai à la veille du Sommet Mondial sur la Santé du G20 à Rome. Puis, grâce au soutien du groupe parlementaire La Gauche du Parlement européen et du parti de la Gauche Européenne, une série de séminaires internationaux et une conférence internationale à distance ont eu lieu fin septembre et fin octobre 2021. Nous avons aussi diffusé une vidéo de 34 minutes présentant des interventions d’une trentaine d’artistes du monde entier, intitulée “L’autre agenda” (voir www.agora-humanité.org).

Le 27 novembre dernier, nous avons pu soumettre une version du document l’Autre Agenda. Synthèse et propositions au Forum européen des forces alternatives et progressistes. Le présent document constitue la version définitive du projet L’Autre Agenda.

Par ce document, le travail politico-social entre dans sa vraie phase de mobilisation transformatrice. Le cap est fixé: dénoncer l’irresponsabilité criminelle de L’Agenda des dominants et entamer un parcours de longue durée par lequel les citoyens qui adhèrent aux finalités de l’Autre Agenda, l’Agenda des Habitants de la Terre, se battront pour ouvrir de nouveaux horizons à la construction d’une communauté globale de vie de la Terre juste, solidaire, pacifique, trois adjectifs réalisables.

Remerciements

Le document a été le résultat d’un travail collectif réalisé à l’occasion de deux séminaires internationaux online et d’une conférence internationale, elle aussi à distance. Plusieurs personnes y ont participé. Qu’elles soient ici chaleureusement remerciées, en particulier, Roberto Musacchio (I), Roberto Morea (I), Paolo Ferrero (I), Paolo Cacciari (I), Cornelia Hildebrand (D), Marga Ferré (E), Roberto Mancini (I) Heinz Bierbaum (D), Joao Caraça (PT), Nicoletta Pirotta (I), Mary Theu Niane (Sénégal), Manon Aubry (F), Marc Botenga (B), Paola De Meo (I), Alassane Ba (F), Marcos P. Arruda (BR), Armando De Negri (BR), Luis Infanti de la Mora (CL), Hélène Tremblay (CND-Québec), Oumu Kane (Ruanda), Maria Palatine (D), Pietro Pizzuti (B), Bernard Tirtiaux (B), Pierre Galand (B), Moema Viezzer (BR), Anibal Faccendini (ARG), Lucie Sauvé (CND-Québec).

 

Partie A. Analyse critique de l’Agenda des dominants

Les dominants

Par les “dominants”, nous entendons les groupes sociaux qui plus que d’autres groupes ont, par la voie démocratique ou l’accaparement par la force, le pouvoir politique, (idéologique, économique, militaire, social, culturel) de définir et imposer les valeurs communes et les principes fondateurs du vivre ensemble, en en dictant les règles; de fixer les objectifs et les priorités à poursuivre; de contrôler et juger le respect des priorités et des règles; de résoudre les conflits et sanctionner les transgressions; d’orienter les modes de vie des populations à l’échelle mondiale.

Actuellement, les dominants se trouvent principalement dans les pays dits “occidentaux”, du “Nord”, en raison surtout de leur puissance économique, militaire et idéologique résumée par le fait que leur système dit “capitalisme de marché” constitue la forme la plus répandue de “système prédominant” dans le monde.

Les sujets dominants principaux sont des Etats tels que les Etats-Unis, l’Allemagne, la France, le Japon, le Royaume-Uni, la Suisse, l’Italie, le Canada et, par d’autres modalités, la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil, et des sujets tels que les Glocos (les compagnies globales comme les GAFAM, les Big Pharma, les sociétés pétrolières et minières, les grands groupes de distribution commerciale…) et la Grande Finance (une petite dizaine de banques mondiales, trois principaux fonds mondiaux d’investissements, les Bourses…). Certes, les organisations religieuses telles que les Bouddhistes, les Hindous, les Confuciens, les Musulmans, les Chrétiens, les, Catholiques…font partie aussi des dominants mais sur d’autres plans que celui politique.

La double nouveauté par rapport à il y une soixantaine d’années c’est que, d’une part, le pouvoir de domination (en résumé, le pouvoir “politique”) n’est plus l’apanage principal des Etats, des pouvoirs publics. Ce pouvoir est davantage aux mains de sujets “non-étatiques” privés, comme les entreprises multinationales, multi-territoriales, multisectorielles, mondiales, nouvelles oligarchies planétaires en guerre permanente pour la puissance et la survie, D’autre part, le pouvoir de domination ne se fonde plus principalement sur la souveraineté (propriété et contrôle) des ressources naturelles et de la population, mais sur l’appropriation et le contrôle de la connaissance, notamment des connaissances scientifiques et technologiques débouchant sur la “création” d’un univers nouveau de biens, produits et services pratiquement inconnus il y a 60 ans.

Aussi, la domination s’exerce-t-elle par des facteurs, mécanismes et modalités différents mais aussi par le renforcement des formes, mécanismes et modalités “anciens”. On pense au patriarcat, au racisme, au principe d’inégalité, aux autocratismes, à l’effacement des libertés, au déferlement de la primauté du “je” et des identités centrées sur des multiples “je” totalitaires, excluants, guerriers, conquérants. Cela, au détriment et à l’annihilation du “nous”, des “nous” collectifs, communs, ouverts, pluriels, coopérateurs..Voir la première partie du Mémorandum des citoyens.

D’ailleurs, l’Agora des habitants de la Terre est une “association” de personnes qui s’est formée en 2018 en opposition à la société et à l’histoire des “je”, en partant du principe que nous, êtres humains, sommes tous – au-delà de certaines spécificités de groupe (sexe, âge, couleur de la peau, langue, croyances…) – partie intégrante d’un” nous”, l’humanité, qui à son tour est partie essentielle d’un nous, plus “grand et plus complexe”, dont l’humanité est en train de prendre conscience, à savoir la communauté globale des êtres vivants de la Terre (toutes espèces vivantes incluses)..Nous y reviendrons, évidemment.

Principes fondateurs. Croyances

Selon les dominants, le but de la créativité humaine, individuelle et collective est de poursuivre la croissance économique, grâce à laquelle – affirment-ils – tout développement tire sa force et sa durabilité.

La connaissance scientifique et technologique est la source de la croissance économique et du bien-être matériel et immatériel des sociétés. Elle est devenue le facteur-clé à la base du pouvoir économique, de la puissance et de la sécurité des populations. Sa propriété et son contrôle, disent-il, garantissent la souveraineté des peuples. En réalité, ils pensent surtout à leur souveraineté.

La liberté et la propriété privée des biens essentiels pour la croissance économique et la prospérité personnelle et collective sont, disent-ils, des droits fondamentaux prioritaires sur les autres. Ils constituent les deux piliers centraux de toute société désireuse de gouverner son devenir.

L’exploitation du travail et le prétendu caractère ‘naturel’ de la division en classes de la société sont des phénomènes structurants de l’organisation des sociétés. L’absolutisation de la hiérarchie fondée sur la diversité des rôles sociaux des différentes fonctions de travail est la base constituante des hiérarchies économiques et de pouvoir.

La gouvernance économique, notamment à l’échelle mondiale, est la clé de voûte du système de gouvernance globale politique, fondé sur le rôle prioritaire des “porteurs d’intérêts” (les stakeholders). La gouvernance mondiale des stakeholders est la négation de la démocratie.

La pauvreté a toujours existé. L’inégalité aussi. La guerre également. Elles sont, considèrent-ils, des phénomènes liés à la nature humaine, aux égoïsmes, à la tendance des uns à la domination, des autres à l’enrichissement, au racisme, à la xénophobie. L’objectif réaliste, pragmatique, est de réduire l’ampleur de ces phénomènes et de mitiger leurs effets.

Objectifs prioritaires, mécanismes de domination

L’innovation technologique, la technologisation de la vie, de toute forme de vie, grâce à l’intensification et à l’application des avances scientifiques dans tous les domaines (le vivant, l’énergie, les matériaux, l’intelligence) constitue le mot d’ordre principal. La priorité à la digitalisation résume la tendance dominante en faveur de la technologisation tous azimuts, sans limites.

La compétitivité économique sur les marchés de plus en plus globalisés est “naturelle” et inévitable dans le cadre d’une “guerre économique permanente” de tous contre tous.. Elle dépend de la capacité d’innovation technologique et de la puissance financière des porteurs d’intérêt. Seuls les plus forts survivront.

Optimiser la rentabilité financière. La finance est la mère de la valeur des choses (biens et services). Tout ce qui est rentable financièrement a de la valeur et, pour cela, l’argent sera disponible. Tout ce qui n’est pas rentable n’a aucune importance.

Les (principaux) instruments du pouvoir

Le marché, dit “concurrentiel”, de facto oligopolistique voire monopolistique, est considéré le régulateur “naturel” optimal des rapports d’échange des biens et des services et, donc, de l’économie et des relations sociales. Tout échange doit être “marchand”.

La concurrence entre les travailleurs au niveau local et global, voulue et organisée par la mise en compétition des entreprises et des territoires par les grands groupes multinationaux…

L’ingénierie financière est de plus en plus concentrée au plan mondial, à haute intensité technologique, et dissociée de l’économie réelle. Elle indépendante du pouvoir politique étatique..Libérée des régulations politiques et économiques publiques, elle a fait sauter les différences fonctionnelles entre sujets financiers (banques, caisses d’épargne, assurances, fonds d’investissements…) et les frontières territoriales.

Les brevets, droits de propriété intellectuelle privée. Il s’agit actuellement de l’instrument lr plus puissant qui permet aux entreprises privées, surtout multinationales, de devenir propriétaires pour 17 à 20 ans des connaissances à la base de la conception et la production de biens et de services dans le domaine du vivant (semences, plantes, animaux, microbes, êtres humains…) et de l’intelligence artificielle. Il suffit de penser aux débats sur les brevets sur les vaccins et sur les systèmes intelligents, les robots soldats et les drones pour se rendre compte de la puissance fondée sur les brevets.

La monétisation de la nature (donner un prix à tout élément du monde naturel) relancée avec force fin octobre 2021 par la Bourse de New York, est nécessaire et irréversible pour assurer aux entreprises la disponibilité des ressources indispensables à la croissance économique dans une situation de raréfaction quantitative et qualitative des ressources naturelles.

L’éducation est surtout un système de formation des ressources humaines aux savoirs et compétences dont les entreprises privées ont besoin pour maintenir et renforcer leur compétitivité internationale.

Les narrations des dominants sur la connaissance

Le concept de “connaissance” est réduit à celui de “science et technologie” (S&T). La “science” est entendue surtout comme “science exacte”. C’est ainsi que la techno-logie a remplacé le terme de “technique” pour indiquer la dépendance croissante de la technique vis-à-vis de la science.

Toute autre forme/expression de connaissance, par exemple celle des populations dites “indigènes”, est considérée soit “locale”, soit d’aucune valeur pour le système global.

Une vision déterministe techno-scientifique du “progrès” et de la vie a été imposée. Tout changement commence par des “progrès” scientifiques qui conduisent à des progrès technologiques générateurs de progrès économiques. A partir de ces derniers s’ensuivent des progrès sociaux et, finalement, des progrès humains. Autrement dit, il n’y a pas, pour les groupes sociaux dominants, de progrès humain en l’absence de progrès scientifique!

L’innovation qui “change le monde” est l’innovation technologique et économique

L’innovation sociale, culturelle, politique, humaine doit être étroitement liée à la première et en tout cas elle ne peut pas être en conflit voire en alternative à la première, sous peine de manque de réalisme et d’impraticabilité.

Tout, toute forme de vie, est une ressource à “valoriser” pour faire avancer le ”progrès économique”, mesuré en termes de croissance du PIB et de la rentabilité du capital.

Tout, y compris les êtres humains, est traité comme une ressource pour l’économie La marchandisation et la monétisation de la nature sont un principe adopté en 2012 lors du Troisième Sommet Mondial de la Terre (ONU) à Rio de Janeiro.

La marchandisation de la vie et l’impératif de la compétitivité entre les entreprises à l’échelle de plus en plus globale des marchés mondiaux rentables ont donné un coup d’accélération puissante à la privatisation de toutes les activités économiques, le capital privé mondial trouvant dans un tel contexte d’énormes nouvelles opportunités de profit.

La scientification et la technologisation de l’économie ont poussé les groupes économiques dominants à s’intéresser davantage aux questions du contrôle de la production scientifique et technologique et de leur utilisation et, par conséquent, de leur propriété.

La privatisation de la science, de la R&D, et de l’innovation technologique par les brevets, avec le soutien et l’aide financière des Etats, a été l’instrument-clé par lequel les sujets privés se sont emparés du pouvoir de régulation réelle et de contrôle de la vie.

L’octroi du droit de propriété intellectuelle privée sur la connaissance restera vraisemblablement la forme la plus puissante et paradigmatique actuelle de la conquête du pouvoir politique par les sujets privés. Légalisés par une décision de la Cour Suprême des Etats Unis en 1990 et par l’Union européenne en 1998, les brevets sur le vivant ont déchaîné une énorme vague d’appropriation privée de la vie par des sujets privés: d’abord au niveau des semences et des OGM, en particulier les médicaments et annexes, puis au niveau de l’immense monde ouvert de l’intelligence artificielle.

L’Université, principal champ de la créativité en matière de recherche et d’éducation a cessé d’être un champ libre. Ses activités de recherche ont été colonisées par le monde du business et de la finance, avec l’accord des pouvoirs publics, au nom du principe ”First patent, then publish”. La connaissance académique n’est plus un bien commun public mais un outil guerrier au service de la compétitivité mondiale des entreprises.

Il en a été de même de l’éducation, réduite à un grand système de formation des ressources humaines pour l’acquisition des savoirs et des compétences dont les entreprises du pays ont besoin pour maintenir et améliorer leur compétitivité dans les marchés mondiaux

Tout ce qui précède a transformé la nature et les modalités concrètes des notions de sécurité “nationale”, sécurité énergétique, sécurité alimentaire, sécurité hydrique, sécurité militaire.

Toute activité scientifique et technologique est considérée un instrument stratégiquement important au service des intérêts des plus forts.

Derrière le mot “sécurité nationale” se cache en réalité la sécurité des intérêts économiques et de puissance des oligarchies “locales” privées globalisées et mondiales, et non pas l’intérêt général, le bien commun de tous les membres de la communauté globale de vie de la Terre.

La militarisation de l’économie, notamment par la militarisation “stratégique” de la connaissance, est un indicateur d’une grande mutation intervenue au sein de nos sociétés.

Les guerres des algorithmes, les guerres des semences, les guerres des vaccins … sont des pratiques sociales collectives imposées par les dominants. Elles ont réduit la vie, de nouveau, à des multiples espaces de rivalité pour la survie., L’autre est l’ennemi.

Dans cette “knowledge based society” et cette “knowledge driven economy” il n’y a pas de place pour les droits universels des humains ni pour les droits de la “nature”.

Il n’y a pas non plus de co-responsabilité au sujet de certains biens et services essentiels pour la vie et le vivre ensemble, comme l’eau, l’air, les semences, l’énergie solaire, la santé, la connaissance.

La “naturalisation” de la hiérarchie sociale, donnée comme la forme la meilleure et la plus efficace d’organisation sociale, expression-clé d’une anthropologie inégalitaire, sert en tant qu’idéologie légitimant toutes les inégalités (économiques, sociales, démocratiques, culturelles, politiques…).

Le monde S&T d’après les prévisions et les attentes des dominants

Le tableau qui suit est tiré d’un travail réalisé par l’OTAN sur l’émergence au cours des années 2020-2040 de technologies porteuses de ruptures significatives. Il illustre concrètement les conceptions des changements les plus importants qui modifieront le système S&T et, par conséquent, le système économique et politique mondial actuel, selon les “attentes” du monde technoscientifique dominant.

Comme on le voit, “Les données” (Data, Big Data) apparaissent avec force à la première place. C’est par elles, affirme-t-on, que l’on créait l’argent/la richesse. C’est aussi sur elles que l’on construit le pouvoir. Etonnant que le fait de départ marquant de l’anthropologie de notre civilisation, selon les dominants; ce soit “les données”. Ce n’est plus “In principio erat verbum” “La parole” (ce qui dit, ce qui exprime…) n’est pas l’acte premier de la création, de la connaissance..

Ainsi, logiquement, l’Intelligence Artificielle vient immédiatement après “les données”. La maîtrise, le contrôle et l’utilisation des données sont devenus stratégiquement importants pour la construction, l’appropriation et l’usage excluant de cet immense monde en expansion de machines et de systèmes opérationnels dits “intelligents”.

 

Tableau 1. Les Technologies émergentes de rupture (en anglais Emerging Disruptive Technologies – EDT) 2020-2040. Domaines technologiques d’intérêt majeur

Ce monde est de plus en plus mis en place de manière libre, non régulée, “auto-certifiée”. Il existe de modestes tentatives d‘introduire des régulations publiques, sans grand succès. Pour les dominants, l’Intelligence Artificielle est comme la Finance. Elle doit être libre, doit grandir et s’affirmer librement. Pensez, à cet égard, au rôle crucial que joue le droit à la propriété intellectuelle privée, notamment par les brevets sur les algorithmes. Non seulement dans le domaine militaire, mais surtout, scandaleusement, dans le domaine de la santé.

Significative, mais non surprenante, est l’attribution du troisième rang à l’autonomie. Dans un contexte d’artificialisation de la vie, l’auto-nomie (pouvoir de décider soi-même) des humains mais aussi des machines, est en train de devenir “le probllème” critique à tous points de vue.

D’où les défis soulevés par la “capacité” d’autonomie décisionnelle des humains (individus, groupes humains, communautés humaines, entreprises, collectivités territoriales, Etats…), par leurs relations avec les machines intelligentes, et par les relations entre les machines elles-mêmes et entre les systèmes de machines autonomes. La finance à haute technologie (par exemple, les robots conseillers financiers et les transactions à très haute vitesse, au millionième de seconde) est en train de prouver son inutilité! De son côté, la digitalisation universelle n’est pas la solution, mais elle devient le problème.

Si l’on voulait synthétiser au maximum, ou pourrait dire que l’importance prise par le principe/objectif de l’autonomie pour le système S&T dominant représente le point de rupture majeur des mutations en cours introduites et recherchées par l’agenda des dominants: l’artificialisation de la vie par des machines autonomes par rapport aux humains indique que les dominants pensent attribuer la plus grande valeur pour la vie de la Terre à celle produite par les machines et non plus par les êtres humains. Sous-estimer cette tendance risque de ne pas se rendre compte des dystopies qui pourraient s’imposer.

Viennent, ensuite, en quatrième, cinquième et sixième position, trois domaines d’une valence stratégique puissante dans une perspective à long terme, mais qui ont déjà une influence considérable sur les configurations en mouvement des grands systèmes techno-scientifiques et industrialo-commerciaux existants. Il s’agit du quantum, de l’espace, et de l’hypersonique.

Le domaine du quantum reste encore peu familier au grand public. Il n’est pas moins déterminant pour les dominants car la génération des computers quantum, opérant à l’échelle de la physique atomique et sous-atomique va remplacer dans les 5-10 ans à venir les computers actuels. La question est de savoir qui, et comment, pilotera une telle “reconversion industrielle”, lorsqu’on constate que les dominants actuels sont incapables de réaliser une “reconversion” énergétique dans l’intérêt de la population mondiale et de la vie de la Planète?

On parle beaucoup de l’espace surtout comme le “lieu” des nouvelles grandes aventures humaines. En réalité, ces narrations “bibliques” constituent une tentative mal cachée d’adoucir la pilule, à savoir la fuite en avant dans l’inconnu opérée par les dominants en annonçant l’inévitabilité des “guerres de l’espace” et donc de la priorité d’investir dans la conquête de l’espace dans le même esprit que fcelui de la conquête du Far West à l’américaine.Le triomphalisme à la Walt Disney par lequel on a présenté les voyages touristiques privés dans l’espace des milliardaires américains révèle la misère culturelle, sociale, et humaine d’une société qui se projette dans l’avenir en tant que société hautement technologisée valorisant davantage le paraître, au détriment de l’être!

On enfonce davantage notre devenir dans le culte de l’avoir, le culte de la puissance de l’avoir.

Le domaine de l’hypersonique est le seul des domaines mis en exergue qui revête clairement, au stade actuel, une importance majeure pour les applications militaires. La conception dominante concernant les connaissances en la matière porte sur comment empêcher que l’ennemi acquière des positions avantageuses..Pour le reste, tout est braqué sur les questions des plateformes et de la propulsion.

Pour clore la liste, last but not least, on trouve les biotechnologies en septième position et puis en dernière, les nouveaux matériaux. Il s’agit de deux domaines qui, avec ceux des data et de l’intelligence artificielle, ont été, et restent, les principaux générateurs des “révolutions scientifiques et technologiques” des 40 dernières années. Ce n’est pas un hasard s’ils ferment l’univers des connaissances S&T sur lesquelles les dominants dériver leur pouvoir et, surtout, leur prétention à leur légitimité d’être au pouvoir.

Tous les grands débats politiques, sociaux et éthiques ont tourné autour de trois domaines mentionnés centrés sur le vivant (les biotech, les OGM, la prédation de la vie par la chimie de synthèse, les brevets sur les vaccins…) le travail humain (robotisation, brevets sur l’intelligence artificielle, réalité virtuelle…) et la santé de la vie de la Terre (les pesticides, les plastiques, les pfas, les grands barrages, les bateaux géants des containers et les immenses bateaux de croisière).

Cette configuration du système des connaissances en huit espaces montre clairement la vision technoscientifique déterministe et oligarchique de la vie et du monde. Selon les dominants, la vie n’est pas pour tous les habitants de la Terre car, croient-ils, les capacités d’autonomie (et de résilience) sont nécessairement inégales. De même, les décisions en matière du devenir du monde n’appartiennent pas non plus à l’espace de création et de coopération de tous les habitants de la Terre, car l’accès aux connaissances et l’appropriation des biens essentiels à la vie sont, considèrent-ils, inévitablement inégaux, déséquilibrés, élitistes.

Les dominants ne pouvaient pas offrir une raison plus convaincante en faveur de la nécessité du bouleversement. Il faut un Autre Agenda, un agenda radicalement alternatif capable, par ses processus de construction, de faire s’écrouler l’actuel immense édifice de violence, d’injustice et de prédation/spoliation de la vie.

L’Autre Agenda est indispensable.

B. L’autre agenda, l’agenda des Habitants de la Terre

Les Habitants de la Terre

Nous, les êtres humains, ne sommes pas les seuls habitants de la Terre.

Nous sommes même parmi les derniers venus à l’habiter. Des millions d’espèces vivantes l’habitent depuis bien longtemps avant nous. Nous faisons partie de la vie de la Terre, de la nature de sa création, de son évolution. Nous appartenons à la nature.

Nous ne sommes pas hors nature. Nous sommes une espèce vivante qui a réussi à améliorer ses capacités d’existence, de résistance, d’adaptation et d’autonomie au cours des millénaires. Si bien qu’aujourd’hui nous sommes la seule espèce capable non seulement de modifier mais aussi de détruire la totalité des formes de vie de la Terre…

De ce constat, il découle, entre autres, que nous sommes aussi la seule espèce capable d’être responsable de la vie de la Terre à laquelle nous appartenons. Notre «survie” et notre “santé” dépendent de l’ensemble de la vie de la Terre. L’artificialisation de la vie n’est pas une solution mais une partie du problème. Nous avons l’obligation d’assurer la sauvegarde, la conservation, le soin de la vie.

Le propre de la vie étant son renouvellement naturel, notre premier impératif vital est de garantir la régénération de la vie. Le contraire est un crime contre la vie.

Ainsi la connaissanc, compris la S&T, ne peut pas être conçue et appliquée en tant qu’instrument au service des humains pour faire violence ou détruire la nature. En ce sens, le principe “pollueur payeur’ est une aberration. En revanche, “il est interdit de polluer” est juste et raisonnable.

De cela, les habitants humains de la Terre ont pris conscience depuis une cinquantaine d’années et ont commencé à élaborer et définir les fondements et les principes juridiques des droits de la nature. Les droits humains à la vie ne peuvent pas être des facteurs de négation de droits de la nature.

En même temps, nous sommes obligés de réaffirmer qu’en tant qu’êtres humains nous faisons tous partie de la même communauté de vie globale, l’humanité. Cela, au-delà,des différences de couleur de la peau, de croyances et de visions du monde spécifiques à tel ou tel autre groupe ou communauté locale.

Aujourd’hui l’Américain blanc vit avec crainte et horreur de perdre la suprématie de puissance mondiale que ses anciens ont acquis par la force, l’esclavage, la puissance militaire et la colonisation du monde. Or, l’Américain blanc n’est pas un ’être humain supérieur à l’Afro-Brésilien plongeurs dans un Pizza Hut de Chicago avec un salaire de misère, ni du jaune chinois ouvrier de Huawei qui est en train de menacer la puissance mondiale de Apple. Actuellement, il y a beaucoup, trop, de ABE (“Américains blancs équivalents”) au sein des populations des pays occidentaux, mais aussi, mutatis mutandis, au sein de la Russie, de l’Inde, de la Chine, du Moyen orient et, de manière moins significative, de l’Afrique.

Le devoir de changer revient essentiellement aux ABE du monde occidentalisé. Minorité numérique à l’échelle mondiale, ils ont encore un pouvoir de rupture énorme, déstabilisant, dévastateur de l’Humanité. L’exemple des inégalités voulues et maintenues dans le domaine des vaccins contre la Covid-19 et du droit “universel” à la santé, montre de manière forte à partir de quoi et de qui l’on doit recommencer la lutte pour le droit à la vie sur notre Terre. Rappelons que d’ici un quart de siècle plus de 9 milliards d’êtres humains devront vivre ensemble en dignité et en égalité dans les droits.

Il faut repartir de l’inégalité dans le monde dans ses multiples dimensions dramatiques, dont le niveau d’appauvrissement en termes d’inégalités de revenu et de richesse constitue l’indicateur le plus significatif sur le plan concret et sur le plan humain et social.

Le World Inequality Report 2022 ne laisse aucun doute sur l’indispensabilité de repartir de l’éradication de l’inégallité.

La figure 1 montre que le 50% de la population mondiale plus pauvre a représenté en 2021 le 8% du revenu mondial et, beaucoup moins encore, le 2% de la richesse mondiale. En revanche le 10% plus riche a pris le 52% e le 76% respectivement et le 1% più riche de la population a “capturé” le 19% et le 36%.

Il s’agit de chiffres incroyables concernant des milliards d’êtres humains. Derrière ces chiffres il y a la brutalité infinie des dominants et l’indécence cynique des sociétés humaine.

Figure 1. Inégalité mondiale de revenu et de richesse, 2021

Une deuxième donne, d’importance fondamentale dans l’optique de l’Autre Agenda, émerge du World Inequality Report. On a assisté au cours des 50 dernières années à une augmentation considérable de la part de la richesse privée dans la richesse mondiale alors que la part de la richesse publique a chuté brutalement. Autrement dits, les sujets privés se sont emparés de la richesse mondiale. La richesse du monde a cessé d’être un patrimoine commun, un bien commun.

Comme démontré dans la première partie, les Etats, les pouvoirs publics, ont considérablement perdu le pouvoir politique, de plus en plus transféré par les mêmes pouvoirs publics aux mains et sous le contrôle de sujets privés.

Dans les conditions actuelles, il devient de plus en plus difficile changer les politiques de conception, de promotion d’appropriation et d’usage de la richesse mondiale.

Il n’est pas dit, cependant, que le futur soit définitivement bloqué. Entre autres évidences, l’ouvrage fondamental publié en 2020 (en anglais) par David Graeber & David Wengrow, Au commencent était… Une nouvelle histoire de l’humanité (Editions Les liens qui Libèrent, 2021); a démontré que les thèses sur la naturalité et l’inévitabilité de l’inégalité entre les êtres humains et les peuples n’ont aucune validité scientifique ni pertinence sociale. Cet ouvrage permet de prendre conscience qu’il est possible d’éradiquer les causes profondes culturelles, humaines, sociales et religieuses de l’inégalité.

La régénération de la vie de l’humanité et de la communauté globale de vie de la Terre sur d’autres bases est possibles.

L’éthique de base de l’Autre Agenda

Nous sommes partie intégrante de la vie de la Terre. Nous appartenons à la vie “globale”. Nous ne sommes pas sur la Terre pour conquérir et soumettre à nos besoins et à nos envies les autres espèces vivantes.

Nous pensons que l’organisation du vivre ensemble entre tous les habitants de la Terre (toutes espèces vivantes) ne peut pas, ne doit pas, être inspirée et guidée par la logique de la puissance, de la domination et de la violence.

Nous ne croyons pas que “only the strong will survive”.

Il est inadmissible, à tous points de vie, que le droit à la vie en dignité et en égalité pour tours les êtres humains ne soit pas une réalité concrète 73 ans après la Déclaration Universelle des Droits Humains. Nous pensons qu’à l’origine de cette situation inacceptable il y a la responsabilité d’un système social structurellement prédateur de la vie qui au cours des dernières décennies s’est imposé à travers le monde, a mystifié (que l’on pense au droit au et du travail, à la lutte contre l’appauvrissement, au développement durable) et puis a piétiné la plupart des avancées humaines et sociales réalisées au cours des XIXe et XXe siècles.

Nous pensons que la prédation de la nature et l’exploitation du travail constituent les deux faces violentes de la même médaille. Dès lors, l’éradication de cette violence passe par la libération du travail et la construction d’un rapport harmonieux entre les êtres humains et l’ensemble de la nature.

Il n’y a aucune raison, quelle qu’elle soit, pour accepter les inégalités et les injustice actuelles. Le droit à la vie pour tous c’est ici et maintenant. Le pragmatisme est la mère des dystopies.

Comme mis en évidence par la pandémie de Covid-19 le fait que des milliards de personnes soient exclues de l’accès aux vaccins et aux autres moyens de lutte contre la pandémie, c’est dû surtout à l’injustice des sociétés les plus fortes et riches du monde.

Il en est de même du fait que des milliards d’êtres humains continuent à ne pas avoir accès à l’eau potable. Ce n’est pas à cause de la raréfaction croissante quantitative et qualitative de l’eau bonne pour usages humains, mais c’est dû principalement aux choix et aux politiques poursuivies par les groupes sociaux dominants.

Si des Syriens, des Kurdes, de Irakiens, des Libanais, des Palestiniens meurent ou vivent dans des conditions intolérables, c’est à cause des guerres que se livrent les puissants du monde, les Etats-Unis en tête, pour sauvegarder leur puissance, leurs intérêts, leur capacité de dominer et de s‘accaparer des richesses des autres.

Enfin, il n’y a pas d’inévitabilité dans la destruction de la vie de la Terre. Le désastre écologique de la Terre continue car les groupes sociaux dominants des pays les plus forts sont incapables de résoudre les problèmes qu’ils ont créés. Or, cette incapacité dérive de leur croyance que le droit à la vie n’appartient pas à tous les habitants de la Terre et que le seul objectif qui vaut la peine d’être poursuivi est sa propre survie (sous l’alibi de la “sécurité nationale”.

Nous pensons que l’humanité existe en tant que conscience de la communauté des êtres humains faisant partie intégrante de la communauté globale de la vie de la Terre, toutes espèces vivantes comprises.

Cette prise de conscience, récente, de la communauté globale de vie de la Terre, nous conduit à penser que l’une des premières tâches revenant aujourd’hui à l’humanité est celle de travailler pour considérer les luttes contre l’exploitation et pour la justice sociale comme une condition nécessaire à la construction de l’humanité en tant que partie intégrante de la communauté globale.

Dans le temps, les êtres humains se sont dotés, notamment à l’échelle des organisations des Etats dits “nationaux”, de nombreux biens communs (naturels et artificiels, matériels et immatériels…) essentiels et irremplaçables pour la vie. Ces biens communs faisaient partie, dans l’imaginaire culturel, de la vie de la Terre, du monde. L’air, l’eau, l’énergie du soleil, les semences, la connaissance, la santé, la paix… Encore aujourd’hui ils appartiennent, en principe, à la vie, à tous… en solidarité. Mais, il est évident que la culture propriétaire/appropriatrice privée propre à l’économie dominante, le capitalisme de marché, a radicalement modifié les conceptions et les visions de la vie et du monde. Dès lors, l’Autre Agenda est par nature ”hérétique”, elle appartient au monde de la résistance au système de domination et à la culture de l’inégalité.

Il est éthique, juste et incontestable d’affirmer que ni le droit de propriété privée, ni la soumission aux logiques du marché et de la finance spéculative et, encore moins, aux logiques de l’exploitation du travail ne peuvent devenir des principes inspirateurs de l’organisation et du gouvernement des biens communs essentiels et irremplaçables de la vie.

Principes fondateurs. Croyances

La sauvegarde de la vie de tous les habitants de la Terre, sa conservation, régénération et promotion constitue le principal impératif éthique, politique, économique et social de l’humanité, dans l’intérêt de toutes les espèces vivantes.

Il n y’a pas, d’un côté, les êtres humains et, de l’autre côté, la nature au service des humains. Les humains font partie intégrante de la nature et de son évolution. Par leurs spécificités, les humains sont responsables de leurs conditions de vie mais aussi de celles des autres espèces. Pour cette raison, il est indispensable d’éliminer les facteurs générateurs des divisions de classe et de reconnaître que nous sommes tous des habitants de la Terre et faisons partie d’une même communauté de vie globale de la Terre sans discrimination de genre, de couleur de la peau, de classe. La Terre est notre maison commune.

Les droits humains et les droits des autres organismes vivants (tels que les forêts, les fleuves, les lacs, les écosystèmes…), sont des droits “constitutionnels”. La santé de tous les habitants de la Terre est un indicateur du bon état de vie de la communauté globale.

La vie, les éléments essentiels et irremplaçables pour la vie ne peuvent pas être l’objet de propriété privée.. Nous, les humains, nous appartenons à la vie. Elle ne nous appartient pas. Nous en sommes responsables dans l’intérêt de tous les habitants de la Terre, car “nous sommes ce que nous nous sommes faits ensemble” (selon le principe ubuntu des sociétés centre-africaines).

La primauté des droits humains et de la nature doit l’emporter sur la puissance d’une structure techno-financière autocratique et globale qui a imposé, ces dernières décennies, l’accès aux biens et services essentiels réglé par les marchés.

L’appauvrissement, les inégalités face aux droits, la guerre sont le résultat de systèmes sociaux injustes, fondés sur les privilèges, les exclusions, les conceptions racistes, classistes, xénophobes.

Les objectifs prioritaires, mécanismes de coopération et de partage

Les biens (et les services) essentiels non remplaçables pour la vie (tels que l’eau, l’énergie solaire, l’air, les semences, la santé, le sol urbain, la connaissance…) sont des BCPM (biens communs publics mondiaux), sous la responsabilité directe des collectivités humaines et des institutions publiques gouvernées par des représentants élus des citoyens.

Le gouvernement de la vie, de l’échelle locale à l’échelle globale, doit être public, hors-marché, hors- finance privée, sous le contrôle et avec la participation directe des citoyens. L’autogestion décentralisée, diversifiée, partagée est possible. Il faut arrêter l’application du principe de l’accès équitable à prix abordable aux biens et services essentiels.

Appliqué de manière systématique aux Agendas de l’ONU – l’Agenda 2015 ( “Les objectifs de développement du Millénaire”) et l’Agenda 2030 (“les objectifs du développement durable”) – ce principe n’a pas permis de modifier substantiellement la non-concrétisation des droits universels. Ne parlons pas des objectifs du développement durable stricto sensu. Ce principe est un échec éclatant, notamment en Afrique dont les indicateurs restent, hélas, pour la population du continent, bien au-dessous des objectifs affichés.Tout en étant conscients de la situation de l’Afrique, les dominants ne sont pas capables d’apporter des solutions sinon celles de soumettre encore davantage l’Afrique aux règles du marché et aux impératifs de la finance globale.

Libérer l’Afrique de cette soumission devient urgent et inévitable.

Il est aussi urgent et indispensable de démonétiser la nature, de libérer les BCPC de la Bourse, d’arrêter toute forme évidente ou larvée de privatisation des BCPM (telle la délégation au privé de la gestion de services publics ou le PPP- Partenariat Public-Privé).

Il faut arrêter l’exploitation du travail et sa réduction à une marchandise. Le travail doit servir à garantir le droit à la vie de ceux et celles qui le réalisent en relation harmonieuse avec les autres espèces naturelles.

Il faut régénérer le politique et l’Etat -res publica a) en revalorisant les parlements et la démocratie directe, aujourd’hui vidés de toute substance par un système qui a privatisé le pouvoir politique, b) en donnant corps à de nouvelles formes de démocratie représentative à l’échelle internationale et planétaire et c) en promouvant des institutions politiques mondiales dotées de grande autonomie dans le but de générer un pouvoir politique institutionnel public multiforme, la Communauté de l’Humanité.

Cet objectif peut être atteint à condition, entre autres, que l’on repense et redéfinisse le principe de la sécurité, en particulier, de la sécurité mondiale militaire commune. Au nom d’une “sécurité nationale” mystifiée, signifiant uniquement la sécurité des intérêts des groupes sociaux dominants au sein des Etats, la science et la technologie ont été expropriées de leur contribution à la sécurité de la communauté globale de vie de la Terre et assujetties à une militarisation économique au service des puissances coloniales mondiales, anciennes et nouvelles. Dans ce contexte, un exemple dramatique est représenté par ce dont les dominants ont fait de l’Afrique: un continent sans sécurité dans tous les sens du mot.

Propositions. Re-définition des champs prioritaires de l’action humaine dans le domaine de la connaissance et, plus en général, configuration des actions pincipales nécessaires pour réaliser l’Autre Agenda, l’Agenda des Habitants de la Terre

  1. Redéfinition des champs prioritaires de la connaissance

L’Agenda des dominants est inspiré par une vision réductrice, déterministe et utilitaire de la connaissance, résumée dans le sigle STS (Science-Technologie-Société):

  • Réductrice, car la connaissance est restreinte à la science et à la technologie
  • Déterministe, car on fait dépendre l’évolution des sociétés des temps modernes des “progrès” de la science et de l’innovation technologique. Le sigle STS établit que à l’origine il y a la Science, qui génère et alimente la Technologie, qui à son tour façonne et structure l’évolution, le.changement de la Société.
  • Utilitaire, car la finalité de la S&T étant celle d’augmenter la capacité d’action des êtres humains en termes de la valeur des biens et des services utilisés, toute connaissance scientifique et toute nouvelle capacité technologique doit être “rentable” par rapport à un tel objectif.

Ainsi, le monde USA a introduit la catégorie des STS Studies. à travers le monde, depuis les années ’70, dans le curriculum universitaire de l’éducation supérieure.

L’Autre Agenda, l’Agenda des Habitants de la Terre, invertit l’ordre des relations et parle de SST (Société-Science- Technologie). Il ne s’agit par d’un jeu de mots mais d’une vision autre, à savoir:

  • Holistique, tout est dans tout, tout est relié, le tout est la vie, est la “société”.Pensons à l’eau, à la santé. Le propre de la société est connaître et se connaître. La santé n’est pas seulement “les médicaments” et sa valeur n’est pas non plus le prix.
  • Intégrale. La connaissance dépasse le linéaire. Très souvent, les principaux changements dans un domaine scientifique et/ou technologique viennent de ruptures imprévues et/ou intervenues dans d’autres domaines En outre, les changements viennent par grappes, par des temps multiples et sous formes variables.
  • Connaître et se connaître font grandir le sens de la vie et du rôle de chaque être et espèce vivants. La prise de conscience de la responsabilité croît, s’élargit et s’intensifie par les connaissances. La conscience de l’écocitoyen planétaire ne naît pas dans les halls des plateformes informatiques de la finance spéculative à haute vitesse. D’ailleurs, elle n’a pas germé dans celle des actionnaires des entreprises productrices du glyphosate ou des ultra racistes américains blancs à la Trump.

Cette vision de la connaissance n’est pas d’aujourd’hui Déjà dans les années ’60-80 elle s’est manifestée par des multiples mouvements d’opposition, de résistance et de propositions même au sein des institutions “du système”.Référence ici est faite, en particulier, au projet European Inter-University Education on Society-Science and Technloogy (ESST).né par l’initiative et le soutien du programme Forecasting and Assessment in Science and Technology (FAST) (1978-1994) de la Commission Européenne à Bruxelles,dirigé par le rédacteur de présent document L’initiative ESST a été le résultat d’un “pacte” signé entre 16 recteurs d’université de la Communauté européenne. Son objectif a été, et reste, celui de promouvoir une vision holistique des interactions et des interdépendances entre les multiples composantes et dynamiques des sociétés à travers lesquelles se façonnent et se structurent les multiples facettes de la connaissance et les relations de pouvoir politique acquis par les outils et les systèmes technologiques. Le programme ESST est toujours à l’œuvre dans douze pays de l’UE. Il n’a pas échappé, hélas, en partie aux effets d’intoxication de la culture et du pouvoir des dominants. Voir http://esst.eu/programme on peut résumer ce qui précède dans le tableau suivant.

Tableau 2. Champs prioritaires de l’action humaine dans la connaissance (CAHC). Chemins de connaissance souhatés (CCS)

  1. Configuration des actions principales à réaliser

A la lumière de ce qui précède, il faut donner hic et nunc la priorité aux actions suivantes:

  • au niveau de la narration de la vie, de l’éthique multiplier et intensifier les rencontres, les happenings, les vidéos, les films, les spectacles, les articles…, dénonçant l’illégitimité éthique, le caractère criminel, des politiques en cours des dominants, notamment concernant la santé, l’eau, la dignité, la fraternité, la biodiversité. Cessons les pétitions et remplaçons-les par les dénonciations, les recours aux tribunaux, les appels en défense et pour le renforcement des institutions de démocratie, surtout directe. C’est le temps d’une forte campagne mondiale de “J’accuse”
  • dans le domaine de la connaissance et de l’éducation:
    A- abolition des brevets sur le vivant et sur l’intelligence artificielle. Les nouveaux “seigneurs de la vie” possèdent plus de 120.000 brevets! Sans cette abolition, la prédation de la vie ne fera que s’intensifier et, par conséquent, la stratégie de la survie pour les plus forts imposera guerres, exclusions, murs… Aucun véritable “Autre Agenda” ne pourrait être mis en pratique
    B- republicisation de l’Université aussi bien dans le domaine de l’enseignement que dans celui de la recherche et développement (R&D). Il faut libérer l’Université de la soumission aux intérêts des grandes entreprises privées multinationales
    C- impulser le système éducatif, toutes formes et tous niveaux, à devenir le lieu de l’apprentissage partagé critique – la (re)connaissance – de l’éco-citoyenneté planétaire, dans le sillon d’expériences innovatrices promues, par exemple, entre autres, au Québec
  • dans le domaine economico-industriel: vu la dégradation des conditions de vie et de travail il faut élargir les droits du monde du travail et lutter pour le contrôle de la part des travailleurs de leur travail et des produis de leur travail. Le moyen le plus efficace à cette fin est la régénération d’un nouveau rôle de l’intervention publique au plan non seulement national mais aussi continental et mondial. On songe en particulier au monde de la santé. Il faut remettre à l’ordre du jour des priorités larepublicisation de l’ensemble des industries de la santé, notamment de l’industrie pharmaceutique.

La santé doit être reinventée en tant que bien et service public mondial. L’eau, la santé et la connaissance doivent devenir les trois premiers piliers de la “res publica mondiale”

  • dans le domaine financier:
  1. arrêt de la finance criminelle légalisée: à savoir: mise hors la loi des paradis fiscaux; abandon des produits dérivés, véritables sangsues de l’économie réelle; gestion de l’évasion fiscale; financement d’activités illicites (drogue, commerce des armes…)
  2. remplacement de la Banque Mondiale et du FMI par la création d’une Caisse mutuelle coopérative mondiale populaire visant à réorienter la finance vers l’objectif de la sécurité de vie de tous les membres de la communauté globale de la Terre. A cette fin, des centaines d’associations de la société civile devrait lancer, en partant de nombreuses initiatives en cours, un mouvement citoyen en faveur d’une finance mondiale alternative par la convocation en 2025 d’une Convention des Habitants de la Terre pour un nouveau système financier mondial
  • dans le domaine politico-institutionnel: création d’une Assemblée Mondiale des Citoyens pour la Sécurité des Biens Communs Publics Mondiaux (en commençant par l’eau, les semences, la santé et la connaissance).

 

 

APPENDICE

Illustration graphique de la configuration de l’espace de gravitation des tensions structurelles au sein des sociétés actuelles d’après l’agenda des dominants

Plusieurs critères peuvent être adoptés pour décrire et comparer le “modèle de société” commun à un groupe de sociétés.

Nous proposons d’utiliser la méthode de la configuration de l’espace de gravitation entre les tensions le long de quatre axes principaux de relations au sein de nos sociétés. Bien entendu, nos axes ne sont pas les seuls possibles. Nous pensons, toutefois, qu’ils couvrent une série importante de relations (tensions) pour permettre d’établir une typologie significative.

Notre objet d’analyse étant l’alternative à l’agenda des dominants,,dont le système de pouvoir est fondé sur la propriété et le contrôle de la connaissance, nous proposons le choix des quatre axes principaux suivants:

1     l’axe des tensions entre public/privé. Exemples: le système de la recherche, le système de l’innovation, le régime de la propriété intellectuelle, le rôle de l’université…

2     l’axe des tensions entre local/mondial. Exemples:la tendance est-elle favorable à une vision et à une politique d’insertion/conquête du système de connaissance national/local dans le marché mondial des connaissance, ou la priorité est-elle donnée à une politique de atisfaction des besoins des sociétés/populations locales?

3     l’axe des tensions démocratie/oligarchie. Exemple: les groupes dominants au niveau de l’Union européenne ont affirmé et appliqué le principe que les acteurs majeurs de la politique de la R&D et de la politique de gestion et de préservation des ressources hydriques européennes doivent être les stakeholders, à savoir “les porteurs d’intérêt”: les entreprises agricoles, les propriétaires des sols, l’industrie agro-alimentaire, l’industrie chimique, les secteurs grands consommateurs d’eau (tels les industries de boissons sucrées…), l’informatique, le secteur du BTP… Bref, les grands acteurs, largement privatisés, multi-territoriaux, multinationaux, multi-utilities, fortement immergés dans les mécanismes de marché et de la finance rentable.

4     l’axe des tensions entre coopération/compétition. Dans la très grande majorité des cas, l’évangile de la compétition,et l’impératif de la competitivité dominent de manière quasi absolue dans le domaine scientifico-technologique, et le domainei de l’éducation/formation…

On peut raisonnablement définir comme Modèle A, système des droits et de la responsabilité celui d’une société où

  • la connaissance est considérée un bien commun, social, public, (et non pas une marchandise)
  • sous la responsabilité et la propriété/contrôle d’institutions publiques (étatiques et non étatiques) exerçant leurs compétences et leurs pouvoirs, hors brevets, du niveau local au niveau mondial, par; des formes avancées et efficaces de démocratie représentative et directe
  • et où la politique de la connaissance et de la technologie est guidée par la sauvegarde des droits universels de et à la vie, des biens communs publics mondiaux, de la justice, de la fraternité, de la paix .Voir graphique Modèle A.

Source: Petrella 2022

A l’inverse, on peut raisonnablement définir comme Modèle B, système des intérêts et des pouvoirs celuid’une société où

  • la connaissance est considérée une marchandise, un bien économique stratégiquement important pour la croissance du PIB du pays, un bien appropriable à titre privé
  • sous la responsabilité des mécanismes de marché et de la finance spéculative, de la propriété de grands groupes économiques et financiers privés,voire publics, multinationaux (voir le système des brevets privés sur la propriété intellectuelle)
  • considérant la connaissance un instrument puissant pour leur compétitivité sur les marchés mondiaux, pour leur rentabilité et pour leur croissance en tant qu’entreprises mondiales avec les soutien des pouvoirs publics nationaux au nom mystificateur de la sécurité et des intérêts “nationaux”. Voir graphique Modèle B.

Source: Petrella 2022

Le troisième graphique illustre la configuration de l’espace de gravitation concernant la connaissance selon le Modèle B dans les sociétés actuelles guidées par l’agenda des dominants. Une configuration à renverser.

Source: Petrella 2022